Ou alors, il faudrait —- mais rien n'est moins sûr —— apprendre à ne plus parler, ou désapprendre à parler. Peut-être alors échapperions-nous enfin, dans la conversation de tous les jours, à ce qui peut s'apparenter à une forme d'épilepsie collective (je songe, ici, à mots à peine couverts à tout ce que Cioran a pu écrire à ce sujet) qui, à chaque instant, à tout bout de champ/chant nous laisse comme hagards, mais aussi (croyons-nous) soulagés d'avoir pu dire ce qui devait être dit (et donc, fait) au terme de ce que nous envisageons bien souvent comme une course de fond. Oui, il faudrait peut-être désapprendre à parler, afin de dépasser le vacarme d'une éloquence qui cherche à prendre le nom de communication, afin de voir la course comme ce qu'elle est: à savoir, une course de forme. mais un tel mutisme ne parlerait plus que de lui-même, et pour lui-même; ce ne serait qu'un silence sans âme, seul, sans fond, et sans véritable raison d'être, autre que la simple négation de la parole. Un silence qui dirait non. Il faut peut-être, au contraire, laisser le silence s'affirmer, dire son oui, et ainsi le laisser s'entretenir avec la parole, dans la parole. Certes, ceux qui n'écoutent qu'à demi ne verront pas la contrefaçon et, entendant le bruit de la parole, la confondront sans surprise avec sa substance et sa densité. Mais la parole n'est pleine qu'aux oreilles de ceux qui refusent d'entendre la confession -- perpétuellement réitérée -- d'un essentiel défaire au coeur même de son déploiement. C'est d'ailleurs en cela -- et peut-être en cela seulement -- (j'en reviens à la citation effacée, disparue de Wittgenstein à laquelle je n'ai cessé de songer aujourd'hui) que la parole est toujours ensorcelante. À l'instar de l'idiome dont use la sorcière, la parole dit toujours du défaire. Si ce n'est sa défaite. Oui, il faut, en effet, faire avec ça.
"And made him brenne his book anon right tho.
———— Chaucer, The Wife of Bath's Prologue v. 815